Litiges avec une société espagnole de location de meublés de tourisme


Statut de la question : Publiée
Categorie(s) de la question : Droit de la responsabilité, Droit des contrats

Détails de la question :

Bonjour,
Cet été nous avons loué une villa en Espagne avec plusieurs personnes, auprès d’une société espagnole qui n’en est pas la propriétaire. Nous avons alors dû verser 1500€ de caution afin de réparer d’éventuels dégâts que nous causerions, ce que nous avons fait.
A notre arrivée dans les lieux, nous étions seuls, et aucune personne n’était présente afin de réaliser l’état des lieux d’entrée, que nous avons tant bien que mal effectué nous-mêmes, l’agence en question nous ayant dit de leur informer de ce que l’on pourrait trouver, ce que l’on a fait.
Cependant, ne pouvant pas tout vérifier scrupuleusement d’un seul coup, nous avons constaté durant notre séjour que certaines choses étaient endommagées, ce que nous avons manqué de signaler à l’agence.
Cette dernière nous reproche ainsi d’avoir cassé ces choses, dont le remplacement est très coûteux (on y retrouve une dalle de piscine fissurée et une machine à laver notamment), ce qui n’est en rien le cas. Bien que nous nions auprès d’elle notre responsabilité, elle nous retient quasiment l’intégralité de la caution, et prétend détenir des preuves que nous sommes à l’origine de ces dégradations, ce qui est factuellement impossible.
En outre, elle veut nous faire payer le ménage, nous ne l’avons soit disant pas fait correctement, ce qui est faux car nous l’avons fait de manière très tatillonne, si bien que nous avons rendu la propriété dans un bien meilleur état que celui dans lequel nous l’avons trouvée.
Nous avons également cassé deux transats (seule chose dont nous sommes réellement responsables), et le reconnaissons auprès de l’agence en question. Le problème est que celle-ci nous les facture à un prix plus de trois fois supérieur à celui auquel sont vendus les mêmes transats sur un site internet donné.
Enfin, intenter un procès en France contre cette agence qui détient notre argent, et dont le probable seul établissement est situé en Espagne, serait-il efficace, un jugement en notre faveur prononcé par une juridiction française trouverait-il à s’appliquer en Espagne ?
Par avance je m’excuse de la longueur de la question et vous remercie vivement de votre réponse.
Meilleures salutations.

La réponse :

Résoudre un litige comportant un élément d’extranéité, c’est-à-dire marqué par un ou plusieurs éléments de droit ou de fait faisant appel à un autre État que le sien, requiert qu’il soit recherché des éléments de réponse non pas dans le seul droit national (qu’il s’agisse du droit français ou du droit espagnol) mais dans le droit communautaire, c’est-à-dire à l’échelle européenne (I.). Ainsi, il conviendra de déterminer la juridiction compétente pour trancher le litige (A°) ainsi que la loi qu’elle devra appliquer pour le faire (B°). Dès lors, il s’agira d’évoquer les droits du locataire selon que s’appliqueront le droit français ou le droit espagnol (II.). Toutefois, certaines situations pourront appeler à privilégier des modes de résolution amiable des différends tels que la médiation (III.), qui permettront au locataire de faire valoir auprès du bailleur un certain nombre d’arguments, et d’entamer avec lui une discussion propice à l’apaisement de situations parfois plus simples à résoudre qu’il n’y paraît (IV.)

I – LE CADRE DU LITIGE

A – LA DÉTERMINATION DE LA JURIDICTION COMPÉTENTE

S’agissant de déterminer la juridiction compétente pour connaître du litige portant sur un bail de location saisonnière international, plusieurs États membres de l’Union européenne au nombre desquels la France et l’Espagne, ont adopté le Règlement n°1215/2002 du 12 Décembre 2002 dit Règlement « Bruxelles I Bis » relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

1 – La protection du locataire non-professionnel

Le Règlement prévoit notamment une protection particulière à l’égard des consommateurs, considérés comme des « parties faibles », c’est-à-dire qui ne sont ni dotées des mêmes connaissances, ni des mêmes moyens qu’un cocontractant professionnel. À cet égard, un consommateur est celui qui agit « pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ».

Dès lors qu’une personne entend souscrire un contrat de location saisonnière pour des vacances, elle est considérée comme consommateur et lui est ouverte une option relative à la résolution du litige qui l’oppose au professionnel. En effet, l’Art. 18 paragraphe 1 du Règlement Bruxelles I Bis prévoit que « L’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit, quel que soit le domicile de l’autre partie, devant la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié ».

En d’autres termes il est au choix du demandeur, c’est-à-dire au consommateur qui intente une action contre une société de location ou un bailleur qui a fait de la location saisonnière sa principale activité :

  • De le faire devant les juridictions de l’État membre dans lequel le professionnel est implanté (Espagne).
  • De le faire devant les juridictions de l’État membre dans lequel lui-même réside (France), peu importe le lieu d’établissement de la société de location.

2 – La procédure de saisine du juge français

La saisine d’un juge dépend notamment du montant du litige. En effet, chaque juridiction est compétente en vertu d’un « taux de ressort », c’est-à-dire une valeur servant de seuil au-delà duquel elle n’est plus compétente. Pour un litige dont la valeur n’excède pas 10 000 €, il conviendra de saisir le tribunal d’instance. Pour cela, il est préférable d’avoir recours à un avocat, bien que la constitution d’avocat devant cette juridiction ne soit pas obligatoire. Plus d’informations sur la saisine du tribunal d’instance. Plus d’information sur la constitution d’avocat.

À noter : reconnaître la juridiction française compétente pour connaître d’un litige international n’emporte pas nécessairement l’application du droit français. En effet, le juge français pourra être amené, au terme de la résolution d’un conflit de lois (V. infra) à appliquer le droit espagnol.

B – LE CARACTÈRE INTERNATIONAL DE LA SITUATION : LA LOI APPLICABLE

Lorsque survient un litige entre deux parties contractantes de nationalités différentes, du moins lorsqu’elles ne sont pas établies dans le même pays, se pose inéluctablement la question de savoir quelle législation appliquer au différend qui les oppose. Est-ce celle du lieu où le demandeur (celui qui intente l’action en justice) a son domicile, ou à l’inverse celle du défendeur (celui contre lequel l’action est dirigée) ?

En matière européenne, plus précisément au sein de l’Union Européenne, et dans un souci d’efficacité juridique, des textes d’harmonisation sont adoptés et ratifiés par plusieurs États membres, de sorte que leurs législations sont équivalentes en certaines matières et facilitent la résolution d’éventuels litiges internationaux. D’ailleurs, lorsque se confrontent deux législations qui pourraient trouver à s’appliquer au même litige, il convient de les départager afin d’appliquer celle qui en permettra la résolution la plus satisfaisante.

1 – La détermination de la loi applicable par principe

Afin de déterminer la loi applicable à un litige international, il faut nécessairement savoir qui en sont les acteurs. Ainsi, la loi applicable à une telle situation dépendra notamment du lieu de résidence des cocontractants, ou de leur nationalité. En effet, le Règlement européen No 593/2008 du 17 juin 2008 dit « Règlement Rome I » et ratifié notamment par la France et l’Espagne prévoit le départage des deux législations en conflit d’application, notamment en matière de bail saisonnier. Le raisonnement opéré par le texte procède des dispositions de l’Article 4 1e. c). L’article prévoit ainsi que « le contrat ayant pour objet […] un bail d’immeuble est régi par la loi du pays dans lequel est situé l’immeuble ». En d’autres termes, dès lors que l’immeuble, objet du contrat de bail, se situe en Espagne, c’est la loi espagnole qui doit s’appliquer.

Toutefois, la qualification des parties et leur situation géographique peuvent ouvrir une option au demandeur :

2 – L’ouverture d’une option en fonction de la situation géographique du propriétaire

Le même Règlement européen « Rome I » pose, à l’Article 4 1ed), une exception au principe de la règle précédemment évoquée. En effet, ce dernier prévoit que « nonobstant le point c), le bail d’immeuble conclu en vue de l’usage personnel temporaire pour une période maximale de six mois consécutifs est régi par la loi du pays dans lequel le propriétaire a sa résidence habituelle, à condition que le locataire soit une personne physique et qu’il ait sa résidence habituelle dans ce même pays ». Cela signifie que peu importe que l’immeuble se situe en Espagne, lorsque le propriétaire du bien placé en location saisonnière est domicilié en France (« résidence habituelle »), la loi applicable est la loi française si le locataire s’y trouve lui aussi domicilié.

À noter : en vertu du Règlement « Rome I » précité, le texte ne trouve à s’appliquer qu’en l’absence de choix des parties sur la loi qui leur serait applicable en cas de litige. En effet, le droit français comme le droit espagnol reconnaissent le contrat comme une norme de référence : les parties doivent s’y conformer. Ainsi, le contrat de location saisonnière peut tout à fait, par une clause, élire la loi qui lui sera applicable en cas de litige. Plus de précisions.

II – LES DROITS DU LOCATAIRE SELON LA LOI RETENUE

A – En droit français

1 – Le contrat de location saisonnière

La location d’une villa ou d’un appartement pour des vacances est une pratique de plus en plus courante, mais qu’il s’agisse de « location saisonnière » ou de « meublé de tourisme », ces dénominations répondent à une même situation juridique : un propriétaire, qu’il soit un particulier, un professionnel ou qu’il agisse par le biais d’une agence de location ou d’une plateforme en ligne (AirBnb, Abritel…) met son bien à la disposition de locataires de passage (pour une durée maximum de 90 jours consécutifs). À cet égard, l’article L324-1-1 du Code du tourisme dispose que « les meublés de tourisme sont des villas, appartements ou studios meublés, à l’usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois ».

 Dès lors, le bien en question ne peut être mis à la disposition du locataire que par le biais d’un contrat écrit, ce que prévoit le même code à l’article L324-2 : « Toute offre ou contrat de location saisonnière doit revêtir la forme écrite et contenir l’indication du prix demandé ainsi qu’un état descriptif des lieux ». Autrement dit, que le futur locataire (dit « preneur ») soit en relation avec le propriétaire lui-même ou une agence de location agissant comme intermédiaire de ce dernier, un contrat de bail doit être établi entre eux. Pour être valable, le contrat de location saisonnière doit contenir certaines mentions, notamment les noms respectifs du locataire et du bailleur ainsi que les dates de début et de fin de location. Doivent aussi figurer au contrat les caractéristiques du logement en location saisonnière à savoir :

  • L’adresse du bien en location et les distances qui le séparent des lieux d’intérêts (centre-ville, gare…).
  • La surface habitable et le nombre de chambres.
  • La description et le recensement du mobilier intérieur ainsi que les installations extérieures (piscine, garage..).
  •  La catégorie du bien s’il est classé.

 À noter : Le propriétaire ou l’agence de location n’ont aucune obligation légale de faire parvenir au preneur des photos du bien. La location saisonnière s’effectuant à distance dans la plupart des cas, elle se fait le plus souvent sans visite préalable. Aussi, pour éviter les déconvenues, le locataire doit s’assurer qu’un descriptif précis du logement en location saisonnière est joint au contrat de bail saisonnier. Plus d’informations ici.

 2 – Les conditions financières et le dépôt de garantie

Outre les éléments susmentionnés, le contrat de location saisonnière doit indiquer le prix de la location. Il doit également disposer du montant du dépôt de garantie, communément appelé « caution ». À cet égard, il convient de distinguer les deux notions. La caution est une pratique qui permet au bailleur de se prémunir contre l’insolvabilité du locataire. Ainsi, les loyers et charges pourront être réclamés au tiers qui s’est « porté caution » s’il advenait que le locataire n’était plus en mesure d’y faire face financièrement. Or, la location saisonnière étant par définition un bail de courte durée, cette pratique n’aurait pas lieu d’être. Il est plutôt procédé en la matière à un dépôt de garantie, qui permet au propriétaire de se prémunir contre les éventuelles dégradations de son bien survenant pendant la période de location. Cette « assurance » vise ainsi les équipements du bien tels que la vaisselle, l’électroménager, le linge de maison ou le mobilier.

Il convient d’observer que la loi n’encadre la pratique du dépôt de garantie que pour le bail à usage d’habitation, c’est-à-dire celui qui porte sur le bien qui constitue la résidence principale et habituelle du preneur. S’agissant d’une location de vacances, aucun montant n’est fixé par la loi. Dès lors, il doit être fixé par le contrat de location et n’excède pas en pratique 25% du montant total dû pour le séjour.

À noter : Le dépôt de garantie prend en principe la forme d’un chèque. À ce titre, le chèque n’est encaissé par le propriétaire ou son mandataire que si l’événement se réalise, autrement dit que si sont constatées des dégradations imputables au locataire. Néanmoins, le « chèque de caution » est un chèque ordinaire payable à vue, dès présentation au paiement par le bénéficiaire. Ainsi, rien n’empêche le propriétaire ou l’agence de location de l’encaisser même en l’absence de dégradations. La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 17 novembre 1998 confirme que « le chèque est un instrument de paiement adressé au bénéficiaire qui peut l’encaisser même en cas de garantie, sauf à lui en restituer le montant si le paiement reçu est indu ». Il faut comprendre qu’en cas de débit injustifié du « chèque de caution », il revient au locataire émetteur du chèque d’apporter la preuve qu’il n’est pas responsable des dégradations. Cette preuve est notamment établie par les états des lieux d’entrée et de sortie.

3 – L’état des lieux

L’état des lieux, à nouveau, n’est pas légalement obligatoire. Cependant, il apparaît être un élément indispensable à titre de preuve. En effet, l’état des lieux est un constat qui décrit l’état précis d’un logement donné en location à l’entrée et à la sortie du locataire. Établi sur support papier ou sous forme électronique, il est remis en main propre ou par voie dématérialisée à chacune des parties (bailleur, locataire) ou à leur mandataire au moment de sa signature. Son utilité est évidente : la comparaison des deux états des lieux permet de vérifier que le locataire a bien rempli les obligations qui sont les siennes en matière de réparations et d’entretien. Comme le précise l’article 1730 du Code civil, « s’il a été fait un état des lieux entre le bailleur et le preneur, celui-ci doit rendre la chose telle qu’il l’a reçue, suivant cet état, excepté ce qui a péri ou a été dégradé par vétusté ou force majeure ».  Dans cette hypothèse, le propriétaire remboursera au locataire l’intégralité de son dépôt de garantie. Le cas échéant, il prélèvera sur le dépôt de garantie le coût des travaux de réparation ou d’entretien qui incombaient au locataire en vertu du contrat de location. L’état des lieux est une formalité primordiale. S’il la néglige, le locataire s’expose au risque de payer sur son dépôt de garantie le coût des travaux de réparation ou d’entretien pour des vices qui existaient pourtant avant son entrée dans les lieux.

Toutefois, il est possible qu’au moment de la réalisation de l’état des lieux, le preneur ne constate pas certains vices. En effet, le locataire pourrait ne relever un défaut que lors des premiers jours d’occupation du logement. Par mesure de précaution, il conviendra qu’il en avise le bailleur ou son mandataire dans les meilleurs délais, de préférence par l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception. En la matière, la loi Alur du 24 Mars 2014 relative à l’accès au logement a instauré un délai de 10 jours pendant lequel le locataire est fondé à solliciter une rectification de l’état des lieux.

À noter : En l’absence d’état des lieux dû à la négligence des parties, le locataire est présumé avoir reçu le logement en bon état de réparations locatives. Quel que soit l’état initial du logement, il devra le restituer en bon état de ces réparations, sauf s’il peut apporter la preuve du mauvais état initial du logement, par exemple, au moyen de photographies.

B – En droit espagnol

Le droit espagnol a ceci de particulier que l’État est une monarchie constitutionnelle, et que s’y superposent des normes juridiques qui coexistent à travers l’organisation territoriale de l’État en 17 communautés autonomes (« CCAA ») que sont par exemple l’Andalousie, la Catalogne ou le Pays basque. Ainsi, la Constitution espagnole prévoit-elle de déléguer aux CCAA des compétences législatives leur permettant notamment d’adopter leurs propres règles en matière de baux d’immeubles. Si la loi applicable est en principe celle de la situation de l’immeuble sur lequel porte le litige, elle diffère nécessairement d’une CCAA à l’autre.

Il faut dès lors opérer une distinction entre les CCAA qui n’ont pas adopté leurs propres règles en matière de baux de location saisonnière, lesquelles se verront appliquer une loi d’harmonisation nationale, et les CCAA qui ont légiféré en la matière, offrant à leurs acteurs touristiques un régime spécifique dérogatoire.

1 – La loi d’harmonisation nationale en matière de baux d’immeubles

La source législative en Espagne est le Parlement lequel peut, en vertu de la Constitution espagnole, adopter des textes à portée générale qui créent un cadre juridique pour les CCAA. Lorsqu’il s’agit de louer un bien immobilier, après la modification apportée à la Ley de Arrendamientos Urbanos ou « Loi sur les baux urbains » (ci-après « LAU ») par la Loi 4/2013, du 4 juin 2013 relative à la flexibilité et la promotion du marché locatif, il existe en principe trois options ouvertes au bailleur :

  • Louer un bien comme résidence habituelle (équivalent du bail à usage d’habitation français)
  • Louer un bien en location saisonnière (s’entend de la mise à disposition d’un logement aux travailleurs saisonniers)
  • Louer un logement à usage touristique. Cette pratique est exclue de la Loi LAU à l’article 5. e), lorsqu’elle résulte de « l’assignation temporaire d’usage de l’ensemble du logement meublé et équipé dans des conditions d’utilisation immédiate, commercialisé ou promu dans les circuits de l’offre touristique et réalisé dans un but lucratif, lorsqu’il est soumis à un régime spécifique dérivé de sa réglementation sectorielle ». Autrement dit, la location d’un logement à usage touristique n’est soumise à la loi d’harmonisation LAU du 4 Juin 2013 qu’en l’absence d’une réglementation sectorielle (émanant de la CCAA). En effet, si une règle sectorielle entre en conflit avec une règle issue de la loi d’harmonisation nationale, c’est la norme la plus proche des parties qui sera privilégiée par le juge, c’est-à-dire la règlementation sectorielle.

2 – L’application préférentielle de la norme sectorielle

L’apparition, dans la réforme de 2013 de la Loi LAU de la notion de « biens et immeubles touristiques » ne signifie pas la disparition du bail « saisonnier » puisque, précisément, la Loi 4/2013 indique que « le projet de réforme de la loi les exclut expressément afin qu’ils soient réglementés par des réglementations sectorielles spécifiques ou, à défaut, le régime du bail saisonnier leur est appliqué, qui ne subit aucune modification ».

Par conséquent, lorsque le logement faisant l’objet d’un bail de location saisonnière (à usage touristique) ne fournit pas les services que les règlements de chaque autonomie ou mairie ont établis à cette fin, il ne s’agit pas d’un bail à « usage touristique ou de vacances », mais d’un bail prévu dans la Loi LAU, c’est-à-dire le bail saisonnier.

Ainsi, il faut observer des nuances notables : là où la loi LAU n’impose pas pour les baux saisonniers de contrat écrit, et octroie même une validité relative aux contrats oraux (attention, seul le contrat écrit vaut à titre de preuve), la plupart des CCAA qui ont adopté une législation spécifique imposent que le contrat, tout comme en droit français, soit passé sous forme écrite.

S’agissant du dépôt de garantie, visé en droit espagnol par la notion de fianza como garantía, ou de l’établissement d’un état des lieux, ce sont là encore les CCAA qui sont compétentes pour fixer leurs propres règles, lesquelles peuvent largement différer d’un territoire à l’autre.

Toutefois, la loi d’harmonisation prévoit, à l’Article 36 que « Le versement d’une caution locative est obligatoire, dont le montant est fixé respectivement à un ou deux loyers mensuels, selon que le bien est loué ou utilisé à des fins de logement qu’il soit ou non temporaire, ou à des fins autres que le logement ». Il faut comprendre qu’à défaut de législation sectorielle s’agissant du dépôt de garantie, c’est l’article 36 de la loi LAU qui s’appliquera. Dès lors, le versement de la « caution » sera obligatoire, mais ne pourra excéder un mois de loyer.

Les textes applicables au litige dépendront finalement de la CCAA dans laquelle se trouve le bien pris en location saisonnière. Pour plus de précisions, se reporter aux éléments suivants :

  1. Ley 4/2013, de 4 de junio, de medidas de flexibilización y fomento del mercado del alquiler de viviendas, dite Loi LAU d’harmonisation nationale en matière de baux d’immeubles du 4 juin 2013.

CCAA pour lesquelles il existe une réglementation sectorielle du tourisme , soumise à une autorité qui lui est propre dite Office en charge du « canal d’offres touristiques » :

L’Andalousie :

Plus d’informations sur le Portail de la Junta de Andalucia, Parlement autonome de la CCAA d’Andalousie ici.

Les Asturies :

Aragón :

Les Canaries :

La Catalogne :

Madrid :

  • Loi 1/1999 du 12 mars 1999, modifiée par deux conventions interprétatives des 16 mars 2015 et 17 avril 2017 dites « Conventions tourisme responsable ».

Valence :

  • Décret 92/2009 du 3 juillet 2010, relatif aux résidences touristiques telles qu’appartements, villas, chalets, bungalows et similaires, et aux sociétés de gestion, personnes physiques ou morales, dédiées au transfert de leur usage et de leur jouissance, dans le cadre territorial de la Communauté Valencienne.

À noter : La plupart des CCAA qui ne sont pas citées ne disposent pas de réglementation propre, et soumettent donc implicitement leurs usagers à la loi LAU. Certaines CCAA en revanche, font explicitement référence à la loi LAU, mettant en place un contrat-type de bail saisonnier destiné à encadrer la pratique de leurs acteurs touristiques.

III – LES MODES DE RÉSOLUTION AMIABLE DU LITIGE

L’idée de la résolution amiable est de se soustraire au contentieux, c’est-à-dire de ne recourir au juge qu’en dernier recours. En matière locative, surtout de courte durée, le recours à la résolution amiable notamment la médiation est un préalable devenu indispensable. En effet, l’Union Européenne tend à favoriser les échanges internationaux, notamment le tourisme intra-européen, et a pour cela mis en place des procédures plus simples et souvent moins coûteuses pour les parties en désaccord que le recours au juge.

1 – Le recours au médiateur

En matière de tourisme intra-européen, des procédures similaires sont développées par les différents États membres. L’une d’elles est l’enregistrement par le propriétaire du bien proposé à la location saisonnière auprès des autorités. Sans cette licence qui référence les biens ouverts à la location de courte durée, le propriétaire est dans l’impossibilité de recevoir des vacanciers en l’échange d’une contrepartie financière. Cette procédure de déclaration existe tant en France qu’en Espagne, bien qu’elle connaisse certaines nuances d’un État à l’autre. En Espagne, une fois la licence obtenue, le bien acquiert la qualité de vivienda de uso turistico, c’est-à-dire de propriété à usage touristique. Si cette procédure diffère quelque peu d’une communauté autonome à l’autre, elle existe néanmoins dans toutes celles-ci. Dès lors, le propriétaire est enregistré en tant qu’acteur du tourisme local sur le Registre officiel de tourisme local.

Le registre dépend d’un Office du tourisme ou d’un « canal d’offres touristiques », lesquels sont composés en principe d’un pôle de médiation, spécifiquement mis en place pour connaître des litiges avec les vacanciers frontaliers. Engager des négociations avec le propriétaire ou l’agence qui le représente est un premier pas vers l’aplanissement du différend qui oppose locataire et bailleur. La médiation a ainsi pour objet de mettre à la disposition des parties un interlocuteur local, averti aux pratiques et à la résolution des différends qui peuvent en découler lorsqu’elles viennent à entrer en contradiction avec la réglementation en vigueur. Il s’agit également d’un moyen efficace d’être éclairé sur l’articulation des règles, qui sont très différentes d’une CCAA à l’autre.

La France et l’Espagne sont également signataires de deux conventions de médiation internationale du tourisme et du voyage, qui traitent spécifiquement des litiges frontaliers (locataires français ayant rencontré des difficultés à l’étranger et inversement). Pour plus d’informations, consulter le Rapport annuel d’activité du médiateur du tourisme et du voyage (MTV).

2 – La conciliation transfrontalière

En matière de conciliation, des organisations internationales notamment des syndicats d’initiative (promotion du tourisme et protection des consommateurs) et des associations de défense des consommateurs proposent des services de conseil juridique et d’aide à la constitution de dossiers pour faire valoir les droits des locataires, souvent démunis face à la complexité des procédures lorsqu’elles présentent un caractère international. L’Union Européenne encourage par exemple la mise en place de relais ou de collectifs destinés à promouvoir la défense des intérêts des consommateurs face aux acteurs professionnels du tourisme que sont les agences de location ou les grandes plateformes en ligne. À cet égard, l’acteur le plus prégnant de ce système est le Centre Européen des Consommateurs.

3  – La procédure européenne de règlement des petits litiges transfrontaliers

Cette procédure a été mise en place en parallèle des Commissions Départementales de Conciliation qui ne sont compétentes qu’en droit national, c’est-à-dire qu’elle ne peuvent travailler que sur des litiges qui n’ont pas d’implications dans un autre État. Le demandeur doit introduire sa demande devant la juridiction compétente, c’est-à-dire celle du lieu de résidence du défendeur ou celle du lieu d’exécution du contrat. Si l’un ou l’autre se situent dans un autre État que celui dans lequel le demandeur est domicilié, il peut saisir la juridiction étrangère compétente en remplissant le « Formulaire A ». Cette procédure permet donc d’alléger les formalités de la saisine du juge, et de gagner en efficacité.

Une fois saisie, la juridiction doit rendre sa décision dans les 30 jours suivant la réception de tous les documents. La décision rendue peut être exécutée directement dans tout État de l’UE, sans procédure de reconnaissance préalable, c’est-à-dire sans autre formalité.

À noter : la procédure européenne de règlement des petits litiges transfrontaliers ne peut porter que sur une demande n’excédant pas 5 000 € et n’est valable, en matière de baux d’immeubles qu’en ce qui concerne des demandes pécuniaires. Plus d’informations ici.

IV – LES ARGUMENTS À FAIRE VALOIR

Dans une situation de conflit locatif, à fortiori lorsque les deux parties ont manqué de diligence que ce soit au moment de la conclusion du contrat de location saisonnière ou de son exécution, le locataire peut faire valoir certains arguments, notamment à l’appui d’une procédure de médiation ou de conciliation.

D’une part, le bailleur a certaines obligations morales incontournables, notamment celle de procéder à un état des lieux, surtout lorsqu’il est professionnel (société de location par exemple). En effet, le locataire considéré comme « partie faible » qui manque de diligence ne sera pas sanctionné aussi lourdement qu’un acteur professionnel du tourisme. Si certaines réglementations (notamment la loi française, ou le décret pris par la CCAA des Asturies) réputent le locataire responsable des dégâts survenus en l’absence d’état des lieux, la plupart ne font pas peser sur lui de présomption irréfragable de responsabilité. En d’autres termes, un propriétaire peu scrupuleux n’a pas intérêt à débiter le dépôt de garantie de manière systématique, au risque de se voir opposer par le locataire une preuve contraire (photographies, constat d’huissier), visant à établir qu’il n’est en rien la cause des dégradations alléguées.

D’autre part, la plupart des formulaires ou des procédures d’inscription des biens en tant que meublés de tourisme exigent un numéro d’agrément, fourni par les autorité compétentes : en Espagne, il s’agit notamment de l’office en charge du canal d’offres touristiques, ou des Offices de tourisme. Ces agréments opèrent un classement des biens (par étoiles notamment) selon des critères établis le plus souvent par décret. Ils sont donc communs à tous les acteurs du tourisme, et sanctionnent un certain niveau d’accueil, d’équipement et d’infrastructure. Dès lors, la saisine du médiateur de l’Office en charge de ce type de litiges opère systématiquement le réexamen du classement du bien, procédure qui peut s’avérer particulièrement dissuasive pour le propriétaire.

En toute hypothèse, il est à ne pas douter que l’engagement d’une procédure amiable permet dans la majorité des cas d’aplanir un différend qui a émergé par manque de dialogue dans une relation contractuelle construite à distance et mettant en relation des acteurs de plus en plus diversifiés, multipliant les risques de survenance de conflits.

EN RÉSUMÉ :

Un conflit opposant un bailleur saisonnier étranger (espagnol) à un locataire français suppose que soient déterminées non seulement la juridiction compétente pour trancher le litige, mais encore la loi qui sera applicable. Pour cela, il est important que le locataire qui intente une action sache qui est le propriétaire, et où il réside habituellement. Une action en justice pouvant s’avérer aussi coûteuse que chronophage il convient de privilégier, a fortiori en matière locative, la voie de la résolution amiable. À cet égard, le locataire est toujours fondé à faire valoir certains arguments, particulièrement lorsque le bailleur est un professionnel auquel il incombe d’exécuter le contrat de bail avec une certaine diligence, du moins plus stricte que s’il n’avait été qu’un simple particulier.