Les trajets effectués dans le cadre du travail doivent-t-ils être rémunérés et considérés comme du temps de travail ?


Statut de la question : Publiée
Categorie(s) de la question :

Détails de la question :

Bonjour,

Je suis assistant territorial d’enseignement artistique et enseigne la guitare. Mon employeur, une communauté de communes.
Cependant, dans le cadre des cours de guitare que je donne pour cet employeur, je suis amené à me déplacer (et les déplacements devraient se multiplier dès la rentrée scolaire prochaine), certains de ces déplacements représentant jusqu’à 1h30 allez-retour.
Je suis également appelé à donner des cours dans la ville où est basé mon employeur.

Lorsque je me déplace, je me rends au bureau de mon employeur où je récupère les clés d’un véhicule de fonction, que j’utilise pour me rendre sur mon lieu d’enseignement, puis que je ramène immédiatement après avoir terminé mes cours.
Mon employeur affirme que ce temps de trajet ne peut être considéré comme du temps de travail.
Il me semble pourtant que si j’emprunte un véhicule de fonction depuis le lieu des bureaux de mon employeur vers différents lieux d’enseignement, ce temps est à considérer comme « à disposition de l’employeur » et doit donc être rémunéré.

Mon employeur affirme le contraire et avance l’argument qu’il n’est pas du devoir d’un employeur de payer un employé pour se rendre sur son lieu de travail.
Je suppose cependant que mon lieu de travail est basé à l’endroit où se situe mon employeur et non aux différentes adresses où celui-ci m’envoie enseigner (et suis absolument conscient qu’il n’y a aucune raison pour que le temps passé à me rendre jusqu’aux bureaux où je récupère le véhicule de fonction soit rémunéré, ni le temps pour me rendre à mon lieu d’enseignement quand il se situe dans les bureaux de mon employeur).
Il me semble donc que mon temps de travail, lorsque l’on m’envoie enseigner en déplacement, devrait débuter à l’instant où je récupère les clés du véhicule au bureau et se terminer à l’instant où je les ramène.

Après de nombreuses recherches, je ne trouve pas de texte pour m’éclairer à ce sujet (si ce n’est qu’il semblerait que tout employé doit être payé dès qu’il est considéré comme « à disposition de son employeur », mais il me faudrait avoir la certitude que c’est bien dans ce cas que je me trouve).

Il s’agit d’un sujet d’importance pour moi étant donné que certains trajets peuvent représenter la moitié du temps de travail. Exemple, allez-retour d’une heure pour deux heures d’enseignement : je suis occupé trois heures par mon emploi (sans compter le temps pour me rendre au bureau où je récupère le véhicule de fonction, qui me semble être mon trajet « domicile-travail » standard), mais rémunéré deux heures seulement.

Dans l’attente de votre retour, je me tiens à votre disposition pour tout renseignement qui pourrait vous permettre de déterminer si ce temps de trajet est à considérer comme temps de travail rémunéré ou non.

Je vous souhaite une excellente journée.

La réponse :

La classification des temps de trajets d’un salarié n’ayant pas un lieu de travail fixe n’est pas une question nouvelle. Des règles d’origine européenne comme française permettent d’y répondre. En raison de vos fonctions au sein d’une collectivité territoriale, ce ne sont pas les règles du Code du travail qui s’appliquent, mais celles spécifiques aux agents publics.

  • Les temps de travail au niveau européen :

Une question identique a été posée à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) : l’affaire a été jugée le 10 septembre 2015 : CJUE, 10 sept. 2015, aff. C-266/14,

L’affaire commence devant les juridictions nationales espagnoles. Les faits sont clairement similaires : des lieux de travail non fixes, une voiture de fonction et le temps de trajet considéré comme temps de repos, seul les temps passés avec le client étaient considérés comme temps de travail effectif.

Les salariés, en désaccords avec leur employeur, ont demandé à la justice espagnole de requalifier les temps de trajet en temps de travail effectif.

Les juges espagnols ont été confrontés à une difficulté d’interprétation de la directive européenne 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail applicables aux faits dont la justice espagnole était saisie.

La directive, en son article 2, définit les notions de temps de travail : « toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales » ; et de période de repos : « toute période qui n’est pas du temps de travail ».

Face à cette difficulté, les juges espagnols ont interrogé la Cour de Justice de l’Union Européenne pour savoir si les temps de trajet devaient être considérés comme du temps de travail effectif.

Appliquant strictement les définitions de la directive, la CJUE considère que le temps de déplacement des salariés itinérants, ceux qui n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client de la journée doit être comptabilisé comme du temps de travail.

Même si l’affaire concerne l’Espagne, la réponse donnée par la juridiction européenne vaut également pour la France. Cette directive (et l’interprétation qu’en font les juridictions européennes) doivent être respectées par la France, aussi bien pour les salariés du secteur privé que pour les agents du secteur public. L’interprétation de celle-ci est alors applicable aux fonctionnaires et aux agents contractuels de la fonction publique.

  • Les temps de trajets au niveau national

Pour les agents publics, le droit français définit le temps de travail de la même façon que le droit européen : le décret n°2000-815 du 25 août 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’Etat et dans la magistrature.

Dans un  arrêt du 13 décembre 2010, le Conseil d’Etat a rappelé que la durée du travail effectif s’entend comme le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ;

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat considère que les temps de trajets sont assimilés à du temps de travail effectif : dès lors que l’agent public reste à la disposition de son employeur sans qu’il puisse vaquer librement à des occupations personnelles. En effet, doit être regardé comme du temps de travail effectif, le temps de trajet laissé à un fonctionnaire à la fin de son premier service pour se rendre de son premier à son deuxième lieu de travail, puis celui laissé pour en revenir et prendre son nouveau service, temps intégralement consacré à son trajet, sans qu’il pût vaquer librement à des occupations personnelles.

Après lecture du décret n°2000-815 du 25 août 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’Etat et dans la magistrature, de la décision de la CJUE, mais surtout de la décision du Conseil d’Etat on peut affirmer que les temps de trajets entre chaque services ou missions sont assimilés à du temps de travail effectif méritant salaire.

  • Conclusion

Les temps de trajets entre chaque mission sont alors assimilés à du temps de travail effectif qui doit être pris en considération pour le décompte de horaires effectués par le salarié et pour lesquels il recevra une rémunération égale à tous ses autres horaires de travail.

Un fonctionnaire qui ne se voit pas rémunéré à hauteur des heures de travail effectuées dispose de plusieurs solutions :

– Il peut renouer le dialogue avec l’employeur public via l’intervention d’un représentant syndical ou d’un représentant du personnel présents au sein des collectivités territoriales.

Cette demande peut prendre la forme d’un recours gracieux : Le recours gracieux est un élément essentiel du contrôle de l’action administrative. L’essence même de ce dernier est de permettre à l’autorité qui a pris une décision administrative de pouvoir la réformer, l’abroger, la modifier ou la maintenir. Le système du recours gracieux permet à l’administration de réparer une erreur commise ou de maintenir une décision. Ainsi, l’exercice d’un tel recours peut permettre d’éviter un recours devant les juridictions administratives.

– Si cette solution ne fonctionne pas, le fonctionnaire peut toujours saisir le tribunal administratif  dans le ressort duquel se trouve le lieu d’affectation du fonctionnaire.